Bandera était-il un nazi ?
Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, les défenseurs du camp russe mais aussi quelques figures de la bienpensance nous abreuvent d'anathèmes sur les méchants nazis qui seraient aux manettes à Kiev. Bien que le président Zelensky soit clairement membre de la communauté juive, il y a constamment la reprise des accusations de Poutine sur le sujet avec souvent comme argument le fait que Stepan Bandera ait activement collaboré avec les nazis durant la 2e guerre mondiale.
Ce qui me fait réagir, c'est que des personnes dont je me sens très proche comme Arno Klarsfeld ont pris des positions très hostiles aux Ukrainiens du fait que ceux-ci osent considérer Stepan Bandera comme un héros national. "La plus grande Avenue de Kiev porte le nom de ce nationaliste qui a collaboré avec les nazis dans le génocide de plus d'1 million de juifs en Ukraine" écrit-il. Ces positions ne sont guère isolées et quelques soient les tendances politiques, on a beaucoup d'individus qui s'interrogent sur l'adulation d'un tel personnage par ceux qui ont élu président Volodymyr Zelensky. Je pense donc nécessaire de creuser le sujet pour essayer avec sincérité de décrypter le vrai du faux sur un personnage qui suscite autant de controverses.
Tout d'abord, comment ne pas évoquer le sujet sans s'attarder sur ce qui s'est passé en Ukraine durant les années 30 avec une tragédie qui a fait suivant les sources entre 3 et 5 millions de morts, principalement de famine. Cette famine organisée par le pouvoir stalinien peut s'apparenter à un génocide puisque sciemment à l'approche de l'hiver, les hommes de Moscou sont venus réquisitionner les récoltes de blé stockées par les paysans notamment ukrainiens. Aux morts de faim se sont ajoutés de nombreux assassinats (officiellement, près de 400 000 fusillés), déportation de ces koulaks (avec 10% de taux de mortalité rien que sur 1 année) qui existaient quand même principalement en Ukraine, même si d'autres régions proches ont aussi été concernées. On peut discuter des termes exacts, de l'appellation ou non de génocide, mais il est clair que Holodomor (littéralement, la grande famine) est une hécatombe considérable pour le peuple Ukrainien, victime de l'ignominie du pouvoir centralisé de l'URSS.
Rappelons aussi que ces mêmes génocidaires staliniens vont eux aussi devenir entre Septembre 1939 et Juin 1941, des alliés objectifs du 3e Reich. Durant très longtemps, la portée du traité de Moscou nous a été dissimulée, présentée comme un simple pacte de "non agression", alors qu'il s'agissait d'un partage du reste de l'Europe où chaque dictature pouvait piller et massacrer comme bon lui semblait. Les Polonais en savent quelque chose puisque l'occupation soviétique a été elle aussi ponctuée par des tueries considérables comme Katyn. Et il est avéré que jusqu'à fin 1940, Hitler et Molotov ont évoqué une alliance militaire plus étendue pour notamment vaincre l'Angleterre.
Comme pour la Finlande, attaquée par surprise fin 1939 par les Russes, il n'est donc guère surprenant de constater que le peuple Ukrainien va considérer comme une bonne nouvelle l'attaque des armées du Reich contre l'URSS le 22 Juin 1941. Stéphan Bandera, un nationaliste emprisonné en Pologne où il était condamné à mort pour son rôle dans l'assassinat d'un ministre, puis libéré par les nazis fin 1939 a conseillé les Allemands dans l'opération Barbarossa. Il dirige la frange la plus extrémiste des nationalistes ukrainiens, l'OUN-B ouvertement alliée au 3e Reich mais ayant principalement comme programme la création d'un état ukrainien indépendant; il y a d'ailleurs quelques juifs parmi eux comme Mikael Keller. Lorsque les Allemands prennent sa ville d'origine Lviv, des tueries visant des juifs, mais pas seulement eux ont rapidement lieu avec la participation de membres de l'OUN, qui veulent venger l'exécution par les soviétiques de 2000 opposants ukrainiens les mois précédents, en arguant que de nombreux responsables du NKVD étaient de cette communauté.
Mais rien n'atteste d'instructions de Bandera pour commettre de telles atrocités et à Lviv, ce n'est pas lui qui déclare la création d'un Etat Ukrainien indépendant, mais Iaroslav Stetsko. Bandera reste surtout pour les nationalistes une icone sans rôle opérationnel, absent sur le terrain depuis 7 ans et qui ne remettra jamais les pieds dans l'est de l'Ukraine débarrassé des soviétiques. Les Allemands arrêtent d'ailleurs Bandera à Cracovie dès le 5 Juillet et le mettent d'abord en résidence surveillée à Berlin, puis durcissent ses conditions de détention y compris en camp de concentration. 2 frères de Bandera mourront à Auschwitz après avoir été déportés, comme une bonne partie des dirigeants de l'OUN par les nazis. Cependant, de nombreux bandéristes ont intégré la police ukrainienne alliée aux nazis et joueront un rôle important dans les massacres et déportations de juifs en Ukraine (1 million de victimes).
La synthèse de nombreuses sources que j'ai effectué avec un soucis d'équilibre montre clairement que nous avons affaire à un personnage qui peut difficilement être considéré comme un grand héros national. Il est associé à trop de compromissions avec l'Empire du mal qu'est le 3e Reich et à trop de crimes contre l'humanité pour que l'on considère comme acceptable un statut comparable à celui que nous attribuons à De Gaulle, voire que les Finlandais attribuent à Mannerheim (qui lui n'a jamais aidé directement les nazis, a refusé d'attaquer Leningrad en 1942, et dont les hommes n'ont jamais massacré de civils).
Pour autant, Stepan Bandera n'est pas une ordure comme certains partisans de la Russie voudraient nous le faire croire. Ce n'est ni un Laval, ni un Pétain ni même une personne vraiment imprégnée de l'idéologie nazie. Sur les photos, on voit Bandera dans un uniforme de gradé de la Wehrmacht mais jamais en tenue de nazi. L'antisémitisme n'est pas présent dans les programmes de l'OUN et le grand rabbin de Dnipro considère que Bandera peut prétendre au titre de héros national. Si les massacres de Lviv ou ceux encore plus horribles de Babi Yar (Les 34 000 juifs restant de Kiev fusillés devant d'immenses fosses communes après un attentat contre des soldats allemands) ont vu la participation de nationalistes ukrainiens, Bandera n'est pas impliqué , et d'autres de ses partisans vont former l'UPA pour lutter contre les Allemands. Ils parviendront à de nombreux succès malgré l'absence d'aide extérieure, la férocité de la répression et prendront le contrôle d'une partie importante de la Volhynie au nord-ouest du pays.
Pour conclure, je voudrais dire à Arno Klarsfeld que si l'Avenue Stepan Bandera est effectivement très longue à Kiev, ce n'est en rien la plus prestigieuse, plutôt l'équivalent de l'Avenue Henri Martin que de l'Avenue Foch ou Montaigne. Par ailleurs, des personnages controversés et adulés, chaque pays en a et on est bien servi chez nous avec Napoléon Bonarparte qui chez les Espagnols ou les Haïtiens, n'a pas laissé un très bon souvenir. De même, on est très complaisant avec des figures nationalistes dites "de gauche" qui ont collaboré avec les nazis comme c'est le cas pour Nasser (Qui avec Sadate a renseigné l'Africa Korps sur les déplacements de l'Armée britannique puis a comme les Syriens et Argentins a accueilli de nombreux dirigeants nazis en fuite), avec certains nationalistes algériens ou palestiniens. Idem pour l'IRA qui en 1940 a commis de nombreux attentats sanglants y compris sur le sol anglais pour saper le moral des militaires et des population, ouvertement en lien avec le 3e Reich, et sera ardemment soutenue par la gauche contre Margaret Thatcher.